La mort de Préval, une autopsie médico-légale encore bèbè

Humble opinion d'un pathologist

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Projectile logé dans la boîte crânienne observé sur une radiographie d’un cadavre, évident sur la vue de profil (à droite).

La mort de l’ancien président René Préval est arrivé comme «un coup de tonnerre dans un ciel serein», pour reprendre une formule longtemps consacrée par l’usage. Un ciel on peut dire serein puisqu’apparemment, Préval paraissait être en bonne santé si l’on en croit les informations médicales obtenues de son épouse. Un coup de tonnerre, car il s’agit du décès d’un homme au profil remarquable et remarqué qui a marqué la scène et l’histoire politique haïtiennes, malgré des controverses à son sujet.

J’ai profité de l’occasion pour m’écarter de mes interventions hebdomadaires habituelles aux couleurs politiques pour me circonscrire à l’événement, au décès, non seulement d’un strict point de vue médical mais à partir de l’expérience d’une trentaine d’années, si ce n’est plus, du spécialiste que je suis en pathologie; expérience se rapportant à une pratique au Canada et aux États-Unis entre 1964 et 1997. Dans le grand public, un peu de la confusion autour du décès de Préval se rapporte à l’abréviation “AVC” qui peut signifier aussi bien un accident vasculaire cérébral qu’un accident vasculaire cardiaque. L’un ou l’autre doit être confirmé ou infirmé par une autopsie.

Au départ, et pour dissiper toute confusion, une autopsie peut être de nature médico-légale, auquel cas elle est pratiquée par un médecin légiste (coroner aux États-Unis), lui-même un pathologiste, dans une salle d’autopsie appropriée, en dehors d’un hôpital. Ce genre d’autopsie a des implications légales, d’autant que les antécédents immédiats de la personne décédée sont inconnus, mal connus et que les circonstances de la mort sont suspectes (suicide, overdose, homicide, suspicion de faute médicale, accidents de transport, du travail ou domestiques, etc.). Quant à l’autopsie hospitalière ou  médicale, elle se fait en milieu hospitalier, dans le cadre d’une histoire clinique soumise au pathologiste. Médico-légale ou non, on attend de celui/celle qui pratique l’acte nécropsique qu’il/elle révèle la cause de la mort.

L’autopsie dite médicale est celle pratiquée dans un hôpital, par un pathologiste pour  l’avancement des connaissances scientifiques, ou à but diagnostique. Une histoire médicale allant du jour de l’admission jusqu’au moment du décès est disponible, sans oublier les différents examens paracliniques et les notes d’évolution de la maladie. Dans la très grande majorité des cas, la cause du décès, à la fin de l’autopsie, est évidente, macroscopique, c’est à dire visible par celui ou celle qui a procédé à la nécropsie: embolie pulmonaire, infarctus du myocarde, thrombose coronarienne, hémorragie cérébrale   en raison de l’hypertension artérielle, ou d’un tout petit anévrysme intracérébral (accident survenant chez de jeunes adultes), hémorragie intrathoracique ou intraabdominale causée par une rupture d’un anévrysme de l’aorte, péritonite (généralement bactérienne) diffuse.

Certaines situations relèvent de cas particuliers en ce sens que la cause de mort est évidente ne nécessitant pas vraiment une autopsie pour l’établir. Quelques exemples: la phase toute terminale d’une maladie débilitante, cachexisante comme un cancer; les complications dévastatrices, infectieuses ou non, du SIDA; une insuffisance rénale ou hépato-rénale avancée, irréversible, accompagnée de toxicité. Il convient de signaler qu’une embolie pulmonaire qui n’est pas massive, visible à l’œil nu, peut être faite d’innombrables microembolies détectables à l’examen microscopique du tissu pulmonaire.

La généralisation de telles microembolies à travers le réseau d’abondants petits vaisseaux pulmonaires implique et indique une interférence massive au niveau du processus  d’échanges gazeux (oxygène/gaz carbonique) dans le poumon, susceptibles de conduire à une mort soudaine. Une infection pulmonaire par un germe dit opportuniste comme le Pneumocystis carinii, chez une personne atteinte d’une maladie débilitante (SIDA, leucémie, etc.), peut ne pas être évidente à l’examen visuel des poumons, mais peut être révélée à l’examen microscopique. Ceci implique que pour une raison ou une autre, un examen bactériologique, durant l’hospitalisation, n’avait pas révélé l’agent infectieux en question.

De ce qui précède, les lecteurs peuvent déduire, d’abord, qu’en milieu hospitalier une cause de mort mise en évidence à l’autopsie est la règle, pratiquement sans aucune exception. Ensuite, cette cause de décès est prête à être couchée dans un rapport d’autopsie, le plus souvent immédiatement, sitôt l’acte nécropsique terminé. En principe, ce devrait être pareil pour une autopsie médico-légale    s’il s’agit des quelque huit causes de mort plus haut mentionnées (infarctus, hémorragie, etc.). Mais parce que le contexte d’autopsie médico-légale s’entend de situations avec des implications légales (suicide, homicides, etc.), des examens non tissulaires sont requis. Ils sont obligatoires, nécessaires, déterminants: radiographie; examens toxicologiques à partir de prélèvements intra-vaginal, intra-buccal, anal; de l’examen des viscères, du sang cardiaque et périphérique, de l’urine, de l’humeur vitrée (de l’oeil), du contenu gastrique et biliaire,  du liquide céphalo-rachidien, des cheveux.

Le cheveu permet d’avoir un aperçu de l’histoire toxicologique du défunt, les semaines ou mois ayant précédé sa mort. Pour les personnes dépendantes de stupéfiants, cette analyse permet de retracer l’histoire de l’addiction dans le temps (drogue, alcool). Les cheveux poussant environ d’un centimètre par mois, les analyses de séquences de cheveux, centimètre par centimètre, permettent de doser le principe actif (mercure, cocaïne par exemple) potentiellement ingéré par la victime. Les cheveux se conservent très bien et il est également possible de réaliser des examens toxicologiques sur des cheveux de cadavre datant de plusieurs années.

Les analyses toxicologiques, de façon générale, permettent quant à elles d’identifier des substances toxiques présentes dans le sang et de les quantifier afin d’évaluer leur degré de létalité. A cette fin, le sang, l’urine et les viscères sont analysés. Les substances que de routine les toxicologues prennent en compte sont les drogues, dures comme l’héroïne, ou «acceptables  comme l’alcool; les poisons: à base de métaux comme le thallium ou naturels à base de plantes, et les médicaments.  Des analyses plus sophistiquées peuvent être requises comme l’immunodétection, la chromatographie, la spectrométrie de masse et la détermination de marqueurs génétiques.

L’autopsie médico-légale est très élaborée et excessivement complexe, tant du point de vue de l’examen externe que celui de l’examen interne et des analyses de laboratoire, toxicologiques surtout. Elle doit être minutieuse. Elle requiert parfois la présence d’un Officier de Police judiciaire. Elle a pour but de déterminer les causes et circonstances de la mort lorsque celle-ci est violente, suspecte, inexpliquée ou inhabituelle comme les noyades, les accidents de la route, une catastrophe de masse, l’absence de documents d’identité, des corps non reconnaissables, etc. Elle doit aussi déterminer s’il s’agit d’un acte volontaire ou accidentel. Ce qui n’est jamais le cas lors d’une autopsie “hospitalière”.

Le médecin légiste en charge de l’autopsie peut avoir besoin, dans certains cas, de l’assistance de l’enquêteur ou du Procureur de la République afin de recueillir un maximum d’informations concernant la mort: date et heure de découverte, circonstances, environnement, informations de police technique et scientifique, antécédents médicaux et cliniques, photographies du corps de la victime. Bref, le travail du médecin légiste n’est pas une mince affaire.

Cette longue entrée en matière m’amène enfin au décès de René Préval. Les informations glanées dans les médias disent que l’ancien président est arrivé mort à DASH, le  centre hospitalier où il avait été emmené. Une demi-heure auparavant, le député Tardieu de la circonscription de Pétion-Ville, invité à partager avec lui le petit déjeûner, l’avait trouvé en bonne forme: «Pendant deux heures, autour des expressos que nous servait à répétition la sympathique Rose nous allons échanger dans la bonne humeur […] Serein, calme, détendu, l’ex-président Préval pétait la grande forme[…] de temps à autre il refilait des calembours trempés d’humour dont lui seul a le secret.»

Selon sa famille, Préval jouissait d’une bonne santé, ne souffrant ni d’hypertension artérielle ni de diabète, ni d’aucune autre maladie chronique. Ces derniers mois, une batterie de tests médicaux étaient tous normaux. Préval était remis depuis des années d’un cancer de la prostate.  Rien donc pour s’attendre à une mort aussi inattendue, rapide et brutale. Mais comme disent les Haïtiens, le mal existe… Aussi, une autopsie a été pratiquée, mardi dernier à la demande de l’épouse, Élizabeth Préval.

En boucle, les médias ont rapporté que le directeur de l’Institut médico-légal, le Dr Jean Armel  Demorcy, a procédé à la dissection et à l’inspection des différentes parties du cadavre pour déterminer la cause de la mort. Un membre de la famille dont l’identité n’a pas été révélée a rapporté au journal Le Nouvelliste que «Tout s’est passé dans les règles de l’art».Comment une personne qui n’est pas du sérail médical, qui n’est pas un spécialiste des choses nécropsiques, peut-elle affirmer que l’autopsie a eu lieu “dans les règles de l’art”. De quel art? Ki l’art? Il s’agit à mon humble avis d’une formule, sans doute heureuse, mais lénifiante pour tranquilliser les non initiés, pacifier les proches du défunt, yon sirèt que l’Institut leur a mis à la bouche pou fè yo  take it easy.

Si le lecteur se rapporte à ce que je viens de dire plus haut, Préval n’a manifestement pas succombé à l’une des six causes de décès évidentes à l’inspection des organes, que, dans le cadre d’une autopsie, médico-légale ou hospitalière, un pathologiste peut être amené à formuler dès qu’il/elle a terminé l’examen nécropsique. Or, le Dr. Demorcy, s’il faut en croire les «premières indications non officielles» rapportées par les médias, Préval «n’aurait» pas succombé à un accident cérébro-vasculaire (ACV). Seulement ça? Pourquoi ce conditionnel? Pourquoi n’avoir pas dit non plus que Préval “n’aurait” pas succombé à un infarctus du myocarde, une embolie pulmonaire massive, une rupture cataclysmique d’un anévrysme de l’aorte ou quelque chose d’autre évident à l’inspection du cadavre?  Dr. Demorcy, pa ban mwen l isi, pa ban mwen l lòt bò, ban mwen l la (ainsi aurait chanté Coupé Cloué).

Préval a souffert dans le passé d’un cancer de la prostate, traité mais pas forcément guéri. Ce qui dans le jargon médical des pathologistes s’appelle le «lit veineux périprostatique»,  peut être, même des années plus tard, le siège de caillots indolores, cliniquement silencieux, sources potentielles d’embolies pulmonaires. Toutefois, si c’était le cas, il eût été extrêmement inhabituel que lors de la visite de Tardieu, ce dernier n’eût pas remarqué un Préval même légèrement dyspnéique (souf anlè), si vraiment il avait pu s’agir de caillots périprostatiques, sources de microembolies pulmonaires. Les choses ne sont pas simples… En passant, Préval ne souffrait pas non plus d’une maladie débilitante qui aurait pu lui causer une infection opportuniste grave, encore que ce type d’infection ne tue pas de façon aussi brutale.

Alors, où sommes-nous gardes avec la mort de Préval. Ki kote n gad avec la cause de mort de l’ancien président? Je vois difficilement comment les examens microscopiques des tissus provenant de tous les organes puissent accoucher d’un diagnostic indiquant la cause du décès. Ce qui m’amène à soupçonner que seul des examens de laboratoire sophistiqués y compris toxicologiques viendront établir la cause du décès de Préval. Immédiatement alors, une question vient à l’idée: un complexe hospitalier public, rabougri, clopin-clopant, très peu performant en ce qui a trait aux soins fondamentaux à offrir à la population, peut-il être doté, malgré la ronflance de l’apellation Institut médico-légal, de l’équipement nécessaire pour la tâche diagnostique qui l’attend? J’en doute fort, et dans ce cas, enben Dòc Demorcy nan ka.

Avant de terminer, permettez que je fasse un petit back vers les années 60. Je faisais une résidence hospitalière en pathologie avec le Dr. Vergnaud Péan. Lors de la mort du général Antonio (Thompson) Kébreau, une autopsie médico-légale avait été conduite par Péan assisté principalement du Dr. X, professeur de… parasitologie, du Dr. Y réputé médecin légiste, et, accessoirement de votre serviteur. Le coeur de Kébreau, mort apparemment d’une insuffisance cardiaque aiguë à cause d’un très gros coeur (cor bovis, coeur de boeuf) qui a finalement lâché et lâché le militaire, est resté à se dessécher, à pourrir dans un bocal vide, faute de formol pour préserver l’organe. Alors, vous avez dit autopsie médico-légale de Préval? An n antann nou. Le destin desséchant du cœur de Kébreau, c’était lò sa te bon, relativement bon. Depuis, avec les régimes passés et plus précisément celui de Martelly, tout a dégringolé, tout a foutu le camp. Institut médico-légal? Performant? Donnez-moi donc du vent pour aller à la Gonâve.

Je plains le confrère Demorcy dont les deux pieds doivent être dans une même graine de soulier. Imaginez qu’un ennemi mortel de Préval ait pu soudoyer les deux gardes de corps de l’ancien président. Incidemment, j’ai appris que ce dernier ne voulait pas d’hommes pour sa sécurité rapprochée. Serait-ce une affaire pareille à la liquidation, en Thailande, de Kim Jong-Nam, demi-frère de  Kim Jong-un, l’homme fort de la Corée du Nord? Serait-ce une version haïtienne du gaz VX (version plus mortelle du sarin) qui aurait occis Préval? Ne sont-ce pas deux femmes qui avaient approché Nam pour lui projeter apparemment une substance effraïque, mortelle au visage? Sont-ce deux femmes qui ont pu jongnamiser Préval? Grosse affaire. Je ne soupçonne personne, mais nous savons, en bon haïtien que le mal existe. J’attends avec impatience ce rapport d’autopsie médico-légale. J’espère ne pas devenir une pile de pwatann

Dans le temps, le fringant colonel Jean-Claude Paul avait “filé’, dit-on, après avoir mangé une soupe ranje. Préval aurait-il “filé” après avoir ingurgité un expresso expressément ranje pour lui? Y en a qui auront à répondre à bien des questions de la part des autorités compétentes.

Dr. Demorcy, vous êtes déjà dans vos petits souliers, démélez vos guêtres!

 

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