Haïti Top 10 Rénovateurs musicaux Numéros 7 Ex-aequo: Loubert Chancy et Herman Nau

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Georges Loubert Chancy (Gros-Mornes, 1950)

« Un prince du sax »

Propulsé comme le plus adulé des saxophonistes modernes du terroir, cet intrépide souffleur a eu une fulgurante carrière musicale, grâce à une orientation qui lui vient d’un père guitariste et, d’une vocation qui lui permit de débuter avec «Les Consuls» de Carrefour puis, «Les Gars de Ste Cécile». Mais, c’est en 1970 que le jeune Loubert Chancy allait sortir de l’anonymat, lorsqu’il fut appelé par Sergo Rosenthal maestro du groupe «Shleu-Shleu» – dont les membres originaux avaient décidé de s’installer à New York – à  prendre la place laissée vacante par le saxophoniste Fito Sadrac. A ce carrefour, malgré un phrasé essoufflé, son tempo généreux et ses envolées insolentes cachèrent bien son immaturité. Il fut révélé au grand public qui acclama ce nouveau prince qui arriva à imposer son estampille et son timbre lyrique et aussi, ses merveilleuses compositions à l’épanouissement du nouveau (immortel) «Shleu-Shleu».Pourtant, en 1974 après six albums avec l’« Immortel », il se rassemble avec ses pairs du groupe, en allant se fixer à New York, devenant le maestro de la nouvelle sensation musicale des mid-seventies; le «Skah-Shah #1» de New York.

A ce stade, son ascension fut vertigineuse, il devint le chef de file incontesté d’un groupe constellé d’étoiles. Son sax inédit pourvu d’effets électroniques sonores, de modulations osées, de solos singuliers, d’exaltations schématiques, le consacrait en digne héritier de Wébert Sicot. Ses riffs et le tempo incarnant le konpa moderne le propulsaient aussi en légataire épanoui de Nemours, comme s’il était personnellement habilité à porter à la fois deux torches géantes dans chaque main. Tout en y étalant sa signature distinguée, son éloquence et sa maestria. Son exubérance, son savoir-faire, ses compositions à succès en firent l’idole d’une génération. C’est le sacre de Loubert Chancy qui illumina le groupe favori du konpa. Sur cette lancée, il gratifia d’un superbe album en solo: “Doudou”, auréolé de sa marque personnelle.

Pourtant après treize ans de service impeccable, teintés il est vrai de haut et de bas, “Zoie” laissa le «Skah- Shah» au désespoir de ses fans; après avoir produit seize albums, dont deux en solo. Fatigué par le rythme d’une carrière incertaine, ainsi que les luttes intestines compromettant l’avenir du groupe au sein duquel son autorité se détériora, Loubert alla se fixer en Floride, où il forma le groupe «Krik Krak» qui dura l’espace d’un matin. Puis, il se lia avec le groupe «Skandal » dans l’exploration d’autres randonées et collaborations éphémères. Ensuite, fidèle à sa vocation d’oiseau migrateur, il fonda «Loubert Chancy & Friends», innovant comme dans un baroud d’honneur. Lassé de musique, il s’adonna dans l’enseignement au “Miami Dade Community College”. Insatiable, il revint en charge avec le «Bazouka» qui fut une expérience décevante. Persistant, il continue de se faire visible et sonore, entre quelques prestations ambulatoires..

Cependant, il a su choisir une route fiable à la dimension de son statut qui s’est épanoui dans la mémoire collective, pour s’imposer en légende de son propre temps et chef de file de son domaine. Architecte marquant de l’ère post-mini-jazz, comme il le prouva au Brooklyn College en 1999, lors du “Konpafèt”, organisé par ‘’Antilles Mizik’’ de ‘’Pipo’’ Lavelanet, quand au milieu de Tony Moïse et de Gérard Daniel, il démontra dans ce trio, de son sax complexe et bonifié, qu’il était le pilier de son ère. Tout en s’enorgueillissant d’avoir laissé une marque indélébile et personnelle. Grâce à une sonorité distincte qui a fait des adeptes de poids partout et ailleurs. Notamment aux Antilles où la talentueuse et prodigieuse Mamina Jacquet en a fait son modèle de prédilection après s’être ressourcé au pays. Et aussi, pour s’être illustré comme l’un des souffleurs de la génération mini à avoir excellé dans des explorations plus complexes. En plus de sa grande influence sur la nouvelle vague qui en dit long de sa magie collective.

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Herman Nau (Pétion-ville, 1951?)
« Un styliste du rythme »

Herman Nau, s’est imposé comme l’un des plus caractéristiques batteurs de son époque. Elevé dans une ambiance musicale, c’est plutôt l’accordéon qui fut son instrument de chevet, l’instrument familial, avec un certain intérêt pour le tambour .Cependant, c’était plutôt à la trompette qu’il donna sa préférence à la fanfare du Lycée de Pétion-Ville, où il eut pour condisciples les frères Lyonel, André et Fred Déjean qui devinrent eux mêmes des adeptes des cuivres. Entre les contraintes scolaires et la passion musicale, c’est plutôt sur la batterie que Herman va jeter son dévolu; après avoir découvert le grand batteur Antoine Osselin, au cours d’une kermesse à Cabane Choucoune. A cette étape, il sut déjà où il voulait aller pour s’illustrer par la suite, comme l’un des représentants locaux de la batterie contemporaine. D’ailleurs, cette passion de la musique,il l’a partagée avec son meilleur ami Albert Chancy , à la constitution d’un petit groupe amateur du nom de «Incognitos», qui animait les fêtes de quartiers et les cercles familiaux.

Jusqu’à ce que l’aventure changea pour de bon en 1968, lorsque Herman et Albert ont décidé d’aller au-delà de l’amateurisme, pour de plus amples explorations musicales. C’est ainsi que « Incognitos » devint: «Tabou Combo»; pour un nouveau groupe qui alla bousculer tant d’idées reçues. Avec le « Tabou », ce fut une explosion de cordes mélodieuses et un rythmique rock & rollant. Pour ce ‘’string band’’, Herman devint le percuteur mobile qui veilla à tous les grains harmoniques, en arrosant tout de ses envolées florissantes. Avec des paramètres tout à fait non-orthodoxes ayant permis au groupe de prendre la scène musicale d’assaut, mais constitué d’adolescents, le « Tabou » éclata hâtivement quand la majorité des musiciens partit pour l’étranger. Par la suite, le groupe fut reconstitué à New York où H.N devint le seul leader, après le désistement de Albert Chancy. En effet, Herman insculpa pendant plus de trente années durant l’existence du groupe, à diriger les manoeuvres, entre autres, à concocter les élaborations rythmiques et les différentes innovations, jusqu’à la confection des costumes, et “trade marks” qui avaient façonné leur image de “super stars”. En plus, des diverses orientations que le groupe avait successivement explorées au cours d’un parcours s’étendant sur plusieurs décennies. C’est au gré de ces mutations qu’il s’est établi en métronome modèle en fin de cycles, post-mini jazz.

A partir des sonorités revendiquées des prémisses du konpa-popcorn, à l’internalisation du rythme zapaton des ‘’masters’’, en passant à l’accommodation funky de la cadence mabouya, jusqu’au réapprovisionnement de la fin des années 1980 à la source du konpa dirèk. Pour dire que si ‘’Dadou’’ est la figure la plus emblématique que le groupe ait connue. ‘’Shoubou’’ y demeure la fabrique vocale, personne d’autres que lui et du guitariste Pyronnau ne  représentent autant la structure rythmique et le langage harmonique du « Tabou » contemporain. Batteur conventionnel, son style puissant en densité, est caractérisé par des roulements de la grosse caisse, avec une impressionnante panoplie de percussions, double cymbale ‘’high hat ’’, un tour de cymbales complexe et dominant etc.

. Avec le «Tabou Combo» ce fut pourtant l’approche métronomique qui prima, avec l’allure de la ‘’kadans mabouya’’, la marque de fabrique rythmique du groupe, faite d’incessants appels de cymbales. Et de ‘’breaks’’ et des caisses qui s’entrecroisent. En fait, dans une génération qui a donné autant de ‘’cracks’’: avec le super Tico Pasquet, le pillier Arsène Appolon, les talentueux : Touco Bouzi, Armando, J.R. Jn. Pierre, Janjan Laraque, Tico Sylvain, Smith Jn. Baptiste, Ramponneau, de Volcy entre autres; Herman s’est fait le plus singularisé en s’établissant en guide d’un genre particulier,  alliant style et substance, galvanisant l’avant-poste à coups de baguettes et de vocalises.

Cependant, en dehors de la musique ambiante, de danse, c’est aussi un musicien d’une grande culture musicale, qui engrangea au cours de sa longue carrière, des atouts tels que: priorité à la rigueur, tempo infaillible, force de frappe, ponctuations singulières. Autant de traits qui le singularisaient plus près du “rocker” que du « timbalero » comparativement au style latin qui distingue la plupart des batteurs haïtiens. En plus, il ne se contenta pas d’être le ‘’drummer’’, en s’investissant dans des fonctions multiples de maître de la mesure, celui qui annonce les morceaux qui suivent, tout en apportant son apport vocal. A l’aube d’un demi-siècle de service, on aura situé ce maître de l’environnement sonore, parmi les batteurs modernes les plus emblématiques du terroir.

Enfin, celui qui aura exploré bien de connaissances pratiques et académiques pour cerner autant de diversités rythmiques: jazz, bossa-nova, pop, jusqu’aux rythmes traditionnels haïtiens. Des capacités dont il en avait fait la démonstration dans sa production, en solo “A la source”, sortie dans l’allégresse du trentenaire de «Tabou Combo»; tout cela a mis en évidence un Herman Nau dans ses chantres faits d’exaltation. Installé Secrétaire d’Etat aux Sports à la Jeunesse et Aux Affaires Civiques en l’an 2001 sous la deuxième administration d’Aristide, Herman fit face au plus grand challenge de sa vie publique. Le temps de prouver qu’il fut un vrai dépanneur, ou pas? Il est vrai que comme élaborateur rythmique du « Tabou », on ne peut se payer le risque de se passer de sa marque, au risque de se perdre.

(*) Inconclusive.

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