« Haiti Top 10 » Elaborateurs Musicaux (Suite) Numéros 8: Un quatuor d’instigatrices

Ex-aequo, Lina, Martha, Lumane et Emerantes

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Lumane Casimir*
(Gonaives 1917-Deschapelles 1955)

 « L’Impératrice de la méringue »

Lumane apparût conquérante, toute en musique, chanteuse, guitariste, artiste, compositrice et interprète à la voix suave et cristalline. Son exquis gosier, un appentis sonore d’où s’échappaient, on eut dit des myriades d’onomatopées. On ne peut parler de diva ou tête d’affiche sans évoquer Lumane Casimir, la modèle inamovible, la pionnière, l’héroïne ou la cinglée. Car, il fallait absolument l’être pour s’imposer artiste-femme et jeune dans le monde misogyne des décennies 1940 et 1950. Une jeune gônaïvienne coiffée de musique et joueuse de guitare qui s’attela à égayer toute l’Artibonite. Successivement, elle s’était retrouvée à Port-au-Prince et faisait des ‘’stints’’ avec le « Trio Astoria ».

pic_2139-lumane-casimirCe fut vers les années 1930, qu’elle fut découverte par la pianiste, scénariste et promotrice d’artistes Lina Mathon Blanchet, douée de l’habilité à dénicher l’oiseau rare. Après que Lumane lui fut présentée par son neveu, le peintre Alix Roy, qui la remarqua un jour au Champs de Mars, galvanisant la foule. Ayant auparavant évolué sous la supervision de Mme Ludovic Boucard à la rue Lafleur Duchène dans la zone du Bas-peu-de-Chose, ce fut là que Lina l’intégra au sein de la « Chorale Legba », avec l’opportunité de mieux s’étoffer. Son enfance malheureuse fut marquée par un destin tragique dont les étapes douloureuses se révèlent à travers ses chansons, au fond desquelles elle a cru inonder ses angoisses et la gangrène des offenses de la vie.

Mais forte de ses capacités géniales, elle a su vaincre les incompatibilités. Pour gravir triomphante les sentiers du stardom. Durant “La belle époque” culturelle sous les gouvernements de Estimé puis Magloire, elle s’éleva en diva incontournable, vedette à part entière parmi d’autres géants. Elle chantait sous divers registres; pouvait amalgamer vitalité, émotion, scat déluré, sensualité à fleur de peau. La voix la plus spectaculaire du milieu pouvait chanter et enchanter avec un savoir-faire et un charisme à nul autre pareil. Son ascension fut vertigineuse, et elle devint l’âme du chant populaire, la rénovatrice de la méringue haïtienne qui reprenait ses droits dans l’exubérance de la renaissance indigéniste.

Dès qu’il s’agissait d’offrir le meilleur cachet, Lumane était la tête d’affiche des soirées inégalables. En 1951, elle partit en tournée international au Canada, les Etats Unis et Cuba, puis rentra au pays nantie de gloire. L’impératrice de la méringue a composé des airs à la mode de sa guitare: ‘’Larivyè mwen te ye’’, une sarabande en congo, ‘’Lumane pa bèl fanm’’ qu’elle chanta en 1947 aux Gonaïves, à la place Christ blanc. Elle popularisa le morceau ‘’Gede zariyen’’ qui reflétait son origine populaire et tumultueuse, sorte de testament éternel à son peuple. “…Gede zariyen Yo fè konplo pou yo touye nou/ Yo vle touye nou….. Réitérant son ironie à l’endroit des politiciens de tous poils dans :’’Papa Gede’’: Papa Gede bèl gason Gede Nibo bèl gason/ Abiye toutan blan Pou l al monte opalè…”

 lumane_casimir_microLumane réinventa ‘’Caroline Acao,’’ exporté à Cuba au 18eme sc. Avec l’émigration des Haïtiens. Elle popularisa tout aussi bien ‘’Panama m tonbe’’, une méringue très en vogue durant le règne de Hyppolite. “Panama m tonbe Sa ki dèyè ranmase l pou mwen…” Durant “l’époque d’or” de l’art haïtien, Lumane était le symbole d’une Haïti régénérée. Quand elle chantait ‘’Isit an Ayiti’’, elle incarnait cette hospitalité légendaire et cette courtoisie toute haïtienne qui séduisaient les étrangers. Comme lors de l’inauguration de la ville frontalière de Belladère en 1948, elle émut un public acquis à sa magie.

Pourtant, la grande Lumane devrait se retrouver face à un destin dont elle croyait s’être débarrassée à jamais. Au comble des vicissitudes quotidiennes, elle ne pouvait échapper aux impondérables de la gloire. Un anathème de vie caractérisée par la recherche d’exutoires et d’interdits pouvant submerger les offenses inacceptables, les défaites réitérées. Atteinte de syphilis, sa santé déclina et sa voix s’altéra. Abandonnée à son sort, l’impératrice de la méringue populaire devait bénéficier d’une certaine aide humanitaire du gouvernement de Magloire pour des soins que nécessitait son état ; sauf que cette aide ne lui serait jamais parvenue.

C’est ainsi qu’elle échoua dans une cahute de Fort- Sinclair à Port-au-Prince pour y mourir à petit feu, sous le regard indifférent ou impuissant des curieux. Avec pour seules compagnes trois chats pour guetter l’assaut des rats qui rodaient aux alentours. Tout en fredonnant ce refrain troublant aux visiteurs ébahis:’’Yo pa te konnen si Lumane ta konsa/Lumane kouche sou do, sou kabann/ Li kriye , anyen sa…’’. Affaiblie et abusée par la maladie, elle fut finalement conduite à l’hôpital Albert Schweitzer de Deschapelles, dans la vallée de l’Artibonite, par Lina Blanchet. Elle y mourut dans la solitude à l’âge de 38 ans.        Après avoir allumé, sillonné et fait danser toute la ville, la samba éternelle retourna aux confins du temps et de l’espace, loin du milieu impitoyable du show-business et de cette vie qui ne lui fit jamais de cadeaux. Après avoir revigoré la nation et son folklore, ‘’l’oiseau du paradis’’ s’envola chanter pour les anges, au regret éternel des amants de la musique. Guy Durosier dans Si w al an Ayiti, évoqua succinctement sa mémoire et Carole Démesmin, dans son œuvre introductive lui rendit un vibrant hommage; dans la chanson Lumane Casimir, une composition de Jean C.“koralen” Martineau: Si lakansyèl te gen vwa,si lakansyèl te ka chante /Se tankou Lumane li ta chante /Kote Lumane pran la vwa,gen yon toubiyon ki leve /Mande pye palmis yo danse /Epòk sa a se nan tan bisantnè. Si yon moun fèt avanyè /Ou pa ka konnen /Kouman Ayisyen fè fou pou li /Kouman yo te renmen Lumane Casimir…

*(Encore)

***

Emerante De Prasdines*
(Port-au-Prince- 1915)

« Galvanisatrice de la culture vodou »

Élevée dans un environnement où la musique, la culture et l’art en général prirent une part prépondérante, Emerante fut hâtivement exposée sur les scènes en prenant part aux démonstrations de son père, le glorieux Canjo De Pradisnes. C’est sous les directives de Lina Mathon Blanchet et de René Bélance qu’elle apprit les fondements de sa connaissance musicale et des chants sacrés. Et s’impliqua dès l’âge de la rougeole dans l’initiation de la culture populaire et universelle. A dix ans, elle donna ses premières performances à la radio, dans un couplet de poèmes. emerante-3

Depuis, elle n’a point quitté la scène en s’illustrant comme: chanteuse, danseuse, poètesse, chorégraphe, actrice, anthropologue, etc .Emerantes a représenté avec Lumane et Martha, la glorieuse trilogie des voix féminines dans la recrudescence culturelle de “l’époque d’or” de la musique haïtienne. Elle s’imposa dans le sillage de quelques rénovateurs en collaborant dans les chorales de Lina Blanchet et de Michel Déjean pionniers de l’heure qui avaient à cœur la revitalisation du folklore national. Elle fut l’ainée qui permit à Martha de faire ses débuts au Rex Théâtre en 1942 dans les pièces théâtrales : ‘’Fifine’’ et ‘’Toutou’’ avec laquelle, elle chanta en duo en maintes occasions. Elle s’illustra aussi dans :’’ La famille des pitit caille’’ de Loccocia, ‘’Sanite Belair’’ de Jeanne Perez, (dans laquelle elle fit sa première prestation de chanson vodou en public), ‘’ Le baiser de l’Aïeule’’ de D. Hyppolite, et ‘’Barrières’’ de Roger Dorsainvil.

Dans cette même filiation, elle a aussi contribué à pérenniser les rythmes indigènes dans des chorégraphies mettant en évidence la beauté du patrimoine artistique de son pays à l’étranger. Avec des prouesses auréolées d’authenticité. Elle n’a pas côtoyé les: Lina Blanchet, Katherine Dunham, Lavina Williams, Odette Wiener, Martha Jean-Claude, Lumane Casimir et autres, sans être au dessus de ses ouvrages. En 1947, elle bénéficia d’une bourse d’études à l’école de Danse Moderne et Primitive de Katherine Dunham à NewYork, où elle se spécialisa dans la Technique- Dunham.

Mais, dans une dynamique aller-retour, c’est pourtant elle qui, à l’occasion, contribua à cette entreprise en enseignant aussi les techniques de la danse vodou qui devinrent la marque déposée du Dunhaism, et dont Haïti fut le fief, dans l’exploration des paramètres du terroir , lesquels ont révolutionné la danse moderne. Plus tard, son groupe ‘’Haïti Danse’’ présenta une approche rationnelle de la danse haïtienne, à partir de ces randonnées ultérieures. Au niveau de la chanson, on n’oublie pas qu’elle a été toujours une disséminatrice des chants populaires. Forte de ces percées, elle devint simultanément, membre de la Société d’Art et directrice de la section féminine de la Troupe Folklorique Nationale au sein de laquelle, elle eut une partenaire de poids, en la personne de Lumane Casimir.

Tout en animant l’émission radiophonique ‘’L’heure de l’Art’’. En 1954, elle fut encore détentrice d’une bourse d’études de la Fondation Parapsychologique, suivie par des études de danse moderne à l’école de Martha Graham à New-York. Infatigable, on la retrouva après au Columbia University, pour une thèse en Anthropologie. C’est là qu’elle fit la rencontre du professeur Richard McGee Morse qui devint son époux et partenaire. Ensemble, ils seront investis par la Inter American University en 1960, à l’établissement d’un curriculum de danse à Porto-Rico, où elle enseignait les fondements des rythmes et danses haïtiens.

Plus tard, elle s’installa à Connecticut où elle fonda une école de danse. En 1981,à l’occasion du Cent Cinquantième Anniversaire de Pétion- Ville, elle se fit chaleureusement applaudir à Cabane Choucoune où elle dansa pieds nus, surprenant plus d’un par sa forme et son agilité, malgré son âge. Blanchie sous le harnais, cette géante de l’art haïtien qui a tant donné, a parcouru les débats et conférences, résolue à promouvoir la culture vodou dont elle a toujours été une adepte et une représentante consciente et éclairée. Son héritage artistique s’est aussi perpétué à travers son fils Richard Jr et sa belle-fille Lunise, du groupe folk-fusion « Ram ». Ce qui situe bien la légende de ‘’Emy’’ à qui on doit une fière chandelle pour avoir disséminé des multiples genres natifs, dont elle a affermi et revalorisé les racines.

*Encore

…Déjà apparues dans: Top 10 ‘’Voix féminines’’

Ndlr. Les deux méringues Caroline Acao et Panama m tonbe furent popularisées à Cuba, dans les années 50, par le populaire chanteur borincano (portoricain) Daniel Santos et l’ensemble Sonora Matancera. Elles furent enregistrées sur disque SEECO en même temps que Gede zarenyen chantée par Celia Cruz et Choucoune chantée par Celia Cruz et notre immortelle Matha Jean-Claude.

 

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