Domitila Barrios de Chungara (1937 – 2012) Infatigable femme des mines de Bolivie, militante révolutionnaire

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Domitila Barrios de Chungara: militante infatigable des mines de Bolivie. «Notre principal ennemi est la peur et nous le portons en nous»

«Notre principal ennemi est la peur et nous le portons en nous» Domitila Barrios de Chungara 

Domitila Barrios de Chungara est née en 1937 à Siglo Veinte, dans le département de Potosi. C’est le plus grand domaine des mines de production d’étain de la Bolivie. Elle était fille de paysans qui migrèrent à la mine pour y trouver du travail.  Son père était un mineur. Elle-même épousa un mineur et ils eurent sept enfants. Tôt, le père fut  transféré à Pulacayo, site industriel situé dans le département de Potosi où elle a grandi. Une zone extrêmement froide, où l’on extrait l’argent.  «Si vous vous accroupissez  sur le sol pour uriner, avant même que vous ayez eu fini, le filet d’urine devient de la glace. Ceux ou celles qui n’avaient pas de travail, n’avaient pas de logement, aucun droit à l’alimentation, rien. Les familles des mineurs morts dans des accidents, étaient livrés à eux-mêmes dans ce froid», a écrit Domitila.

Domitilia Barrios de Chungara est membre d’un des peuples autochtones de la Bolivie et ne savait pas à quel groupe ethnique elle appartenait. Son père parlait le quechua et l’aymara, langues indigènes de la Bolivie, mais il ne les avait pas appris à ses enfants. Domitila apprit le quechua pendant son adolescence. Elle avait dix ans quand sa mère est morte.

Dès 1963, elle participa activement au Comité des Femmes au Foyer. En 1975, elle participa à la Tribune de l’Année Internationale de la Femme que les Nations Unies avaient organisée au Mexique. Ses interventions produisirent un profond impact sur les participants, sans doute parce qu’elle avait vécu ce dont elle parlait.

Militante infatigable, elle lança en 1978 avec quatre autres femmes une grève de la faim pour exiger la libération de dirigeants mineurs emprisonnés. A cette grève se joignirent deux prêtres jésuites, Luis Espinal – assassiné en 1980 par le régime du général Luis García Meza – et Xavier Albó, ainsi que de nombreux syndicalistes, étudiants et militants politiques et sociaux. L’initiative fut l’un des facteurs déterminants du départ du dictateur Hugo Banzer après sept années d’un régime féroce.

En 1990, elle fonda l’École Mobile de Formation Politique «pour transmettre cette histoire qui n’est pas écrite et qui relate les luttes populaires et syndicales du peuple bolivien». Ses élèves sont parfois des étudiants ou des paysans, des clubs de mères, des syndicalistes. « Dans ma maison, nous avons un petit espace où nous organisons des ateliers, donnons des interviews, mais nous allons vers ceux qui nous appellent. Tout ce que nous demandons, c’est qu’ils nous paient le transport et la nourriture». En 2008, elle a vécu une expérience émouvante: «Les enfants avaient réuni sou par sou la somme pour payer notre voyage!»

Domitila a écrit combien il est difficile d’entrer dans le domaine politique dans sa société, le rôle et l’espace des hommes et des femmes étant  rigidement définis. Le Comité des Femmes au Foyer de Siglo XX était fortement critiqué par des hommes qui soutenaient que les femmes n’avaient pas d’affaires avec la politique, qu’elles devaient rester à la maison et laisser les hommes s’en occuper. Contrairement aux coutumes établies, Domitila a soutenu que c’était injuste : pourquoi les femmes ne pouvaient-elles pas se battre pour leurs hommes, pour leurs familles, pour elles-mêmes? «Les femmes sont impliquées dans ce processus en tant qu’habitants des mines. Je pense que tout cela prouve comment le mineur est doublement exploité, non? Parce que, avec un salaire si bas, la femme doit faire beaucoup plus à la maison. Et c’est vraiment le travail non rémunéré que nous faisons pour le patron, n’est-ce pas? », opinait Domitila.

A Siglo Veinte, les patrons promettaient de bons salaires, mais ne tenaient jamais leur parole. Les travailleurs, au contraire, étaient toujours endettés auprès de la compagnie. La nourriture était rare. Les techniciens – appelés «laboreros» – étaient des privilégiés. Ils avaient un logement, la nourriture et du bois de chauffage. Domitila raconte cette anecdote : «Un jour, un technicien décida de brûler de vieux vêtements, les siens et ceux de ses enfants. Il les a emmenés à l’extérieur et les a arrosés d’essence. Pieds nus, des enfants à moitié nus vinrent le prier: ”S’il vous plaît donnez-moi celui-ci. S’il vous plaît ne brûlez pas celui-là. S’il vous plaît donnez-moi ces chaussures. ”

Un des enfants, prenant le risque d’être brûlé, prit une paire de bottes. Le propriétaire, qui regardait par la fenêtre, sortit de la maison. Saisissant un tuyau d’arrosage il  arrosa le garçon d’eau froide, en lui disant: ”Vous, sale bête, vous ne porterez pas les vêtements de mes enfants; qui pensez-vous que vous êtes? ” Et, ajoutant plus  d’essence, il brûla tout en notre présence. Le garçon était glacé, mais on ne lui pas permis de venir près du feu. Nous avons pleuré quand nous avons vu cela et avons demandé à mon père: Pourquoi ? Pourquoi ?». Ce fut un tournant dans la vie de Domitila.

Mariée à l’âge de 16 ans, elle a rejoint, à Siglo XX, le Syndicat des Femmes au Foyer et est devenue son secrétaire général. Le mouvement s’est efforcé d’obtenir une meilleure protection pour les mineurs et leurs familles. A cause de ses activités syndicales, elle a dû subir la visite musclée de militaires chez elle à de nombreuses reprises. Ils l’ont traînée par les cheveux. Ils l’ont frappée devant  ses enfants. Ils l’ont emmenée dans une autre ville pour la soumettre à la torture. Mais Domitila n’a jamais perdu espoir, «cet espoir que nous avons toujours eu  qu’un jour les choses changeraient».

La Bolivie était alors un pays en crise, gouvernée par un dictateur militaire, René Barrientos (1966-69).  Les mineurs se sont mobilisés, le gouvernement les observait. Et une nuit, alors que les gens fêtaient la fête de San Juan, dans Siglo XX et dans Catavi, les avions gouvernementaux sont arrivés. «Nous   dansions et buvions du punch quand tout à coup aux feux d’artifice de San Juan se sont mélangées les bruits stridents de vraies balles. Les soldats assassinèrent des hommes, des femmes et des enfants sans aucune pitié ».                                                                                                                                       Alors, Domitila a pris la parole pour dénoncer le crime. Elle a été  arrêtée le jour suivant. Les militaires l’ont accusée d’inciter le peuple en faveur du Che. Ce n’était pas la vérité, et même si elle avait tenté de le faire ? Ils l’ont emmenée avec eux, et malgré qu’elle  fût enceinte de huit mois, ils l’ont torturée. Quand elle reprit conscience, elle  constata que le bébé était mort à côté d’elle. En raison de la pression de ses compagnons, éventuellement elle fut  libérée. Elle fut envoyée dans une autre ville, où elle a pu se remettre du traumatisme. Dans l’intervalle, Barrientos est mort. Elle est venue à la maison et a repris son combat.

Domitila est partie à l’étranger et a dénoncé les injustices subies par son peuple. Au début des années quatre-vingt, elle a vécu en exil en Suède. Les militaires lui interdirent de revenir. Avec la collaboration d’un éducateur brésilien, Moema Vizzer, elle a écrit, en 1977, le livre «Si me permiten hablar» (Laissez-moi parler), un ouvrage rédigé sur la base de ses expériences personnelles et qui a connu énormément de succès.  Tandis qu’elle vivait en exil, l’une de ses sœurs a continué la lutte en Bolivie et a été assassinée. Domitila, tourmentée par ses souvenirs, a alors décidé de revenir au pays.

De retour en Bolivie, elle a créé son École mobile : un espace de réflexion, d’information et de sensibilisation. En dépit de son âge, elle voyageait à destination des villages les plus reculés. Elle continuait d’attaquer la politique néo-libérale. Elle parlait avec fierté de ses aspirations pour un monde meilleur, sans discrimination raciale. «Mon peuple m’a donné ma force, et je lui dois une dette éternelle, parce qu’il ne m’a jamais abandonné».

Domitila croyait fermement que les mineurs  devaient être éduqués, et plus que les connaissances traditionnelles, elle insistait que ce soit une éducation politique. A son avis, cette éducation politique est «censée aider à construire une élite de mineurs capables d’entrer en politique, capable d’accéder à des positions politiques stratégiques afin d’avoir un gouvernement démocratique qui peut réellement concevoir les conditions de travail et de vie du peuple. Dans une situation de privation sociale, politique et économique, Domitila a été poussée par des initiatives politiques pro-marxistes pendant la période  où elle était cheffe du Comité des femmes au foyer

Une fois que Domitila eut commencé à étudier intensément et à lire des livres qui représentaient différentes philosophies, elle a finalement réalisé que ses véritables valeurs et philosophies se trouvaient dans le marxisme. Bien qu’elle se fût beaucoup inspirée de Marx et d’autres penseurs révolutionnaires, son vrai modèle et guide était «Che Guevara».

Après une vie consacrée à se battre pour ses idéaux révolutionnaires, pour une Bolivie de paix, de liberté et de justice, Domitila Barrios de Chungara est morte d’un cancer du poumon, le 13 mars 2012, à Cochabamba,«Ville d’éternel printemps» du centre de la Bolivie.

Domitila Chungara, a donné l’exemple, pour les femmes et pour l’ensemble du peuple bolivien. Animée par ses fortes convictions, cette femme s’est distinguée par sa ténacité et son courage.

En fin de compte, Domitila Barrios de Chungara, est un grand modèle, une femme extraordinaire qui, malgré un lot d’adversités, a mené à bien son rôle d’épouse, de mère, de militante et de leader politique. Cette héroïne du peuple a laissé un bel héritage au peuple bolivien qui lui en est reconnaissant.

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